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Homicide routier voté au Sénat : ça change la peine ?

l'homicide routier voté au Sénat.
Homicide routier voté au Sénat : ça change la peine ?
Mis à jour le 07/07/2025.

La loi sur l’homicide routier, adoptée le 1er juillet 2025 au sénat, a traversé un parcours parlementaire difficile, marqué par des tensions entre symbolisme et efficacité juridique. Cette nouvelle qualification ne s’accompagne toutefois d’aucune réévaluation des peines, qui restent identiques à celles prévues pour l’homicide involontaire. Si les revendications des familles de victimes existaient depuis longtemps, c’est l’affaire Pierre Palmade de février 2023 qui a véritablement servi de déclencheur.

Szpiner contre Dupond-Moretti : l’affrontement sur les peines planchers

Le débat le plus intense concernait l’introduction d’une peine minimale de 2 ans pour l’homicide routier défendue par Francis Szpiner: Quand ces personnes sont moralement des meurtriers, je considère que changer la loi pour ne rien changer sur les peines, ça n’est pas suffisant ». Cette position montrait la frustration des associations de victimes face à des peines jugées trop légères. Elle n’est finalement pas retenue dans le texte final.

Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice à cette époque, avait rappelé que les peines planchers «n’ont pas montré leur efficacité et n’ont pas entraîné une baisse de la délinquance », citant leur échec passé sous la présidence Sarkozy.

Les données statistiques révélées dans les débats montrent pourtant une sévérité croissante : 97% de taux de condamnation à l’emprisonnement pour homicide involontaire par conducteur, avec une peine moyenne de 22 mois de prison ferme en 2021, et 64% de peines fermes en 2022 contre 53% en 2015 (sources: Question n° 23-06199 du sénateur Hussein Bourgi – JO Sénat du 06/04/2023, page 2299et Question n° 23-06251 du sénateur Hussein Bourgi – JO Sénat du 13/04/2023, page 2473).

Les témoignages poignants des victimes au cœur des auditions

Les auditions menées par la commission des lois ont révélé l’ampleur du drame humain derrière les statistiques. Yannick Alléno, chef étoilé et président de l’association Antoine Alléno créée après la mort de son fils, a été auditionné et a pesé de tout son poids médiatique pour obtenir la suppression du terme “involontaire”, jugé “insupportable, injuste et injustifié” par les familles de victimes.

Cette mobilisation des familles fait écho à d’autres voix européennes, comme celle de Rinaldo Pontello, père d’une jeune fille tuée par un chauffard ivre en Belgique, qui martèle : “Ce sont des homicides parce que ça n’arrive pas par hasard : prendre la route sous alcool ou drogue, ce n’est pas fortuit”.

Les politiques divisés entre symbolique et efficacité

L’analyse des positions révèle des clivages profonds. Les Républicains, menés par Szpiner, voulaient “aller plus loin”avec des peines planchers et une architecture pénale renforcée. Le groupe socialiste, par la voix de Marie-Pierre de La Gontrie, dénonçait un texte répondant à “un enjeu de communication politique” dont “l’utilité juridique interroge”.

Le groupe centriste, via Thani Mohamed Soilihi, s’interrogeait sur la cohérence de peines planchers “limitées à une seule catégorie d’infractions”. Même le gouvernement, pourtant favorable au principe, s’est opposé aux modifications sénatoriales jugées contre-productives.

Un compromis final qualifié d'”imparfait” par son propre rapporteur

L’adoption définitive du 1er juillet 2025 s’est faite dans une atmosphère de frustration palpable. Francis Szpiner lui-même a qualifié le texte final d’“imparfait”, estimant qu’il faudrait “prolonger le travail pour, à terme, que les chauffards comprennent que leur comportement est criminel”. Le vote à main levée, sans débat, témoignait de la lassitude face à une navette parlementaire qui avait vidé le texte de ses ambitions initiales.

L’avocat Me Vincent Julé-Parade, représentant des victimes, a exprimé ses craintes : “Je redoute que les magistrats ne dépassent pas leur analyse de l’accident comme demeurant un accident”, soulignant le risque d’un texte “uniquement symbolique”.

Les innovations juridiques maintenues malgré tout

Le texte final conserve néanmoins des modifications significatives : création du chapitre “Des homicides et blessures routiers” (articles 221-18 à 221-21 du code pénal), peines portées à 7 ans et 100 000€ (contre 5 ans actuellement), et jusqu’à 10 ans et 150 000€ avec deux circonstances aggravantes.

La loi énumèrera neuf circonstances aggravantes précises :

  • Alcoolémie élevée (état d’ivresse manifeste) ;
  • Usage de stupéfiants ou substances psychoactives ;
  • Conduite sans permis valide ;
  • Excès de vitesse d’au moins 30 km/h au-dessus de la limite autorisée ;
  • Violation délibérée d’une mesure de sécurité routière ;
  • Délit de fuite après l’accident ;
  • Usage du téléphone en conduisant (tenu en main ou avec écouteurs) ;
  • Refus d’obtempérer aux forces de l’ordre ;
  • Pratique d’un rodéo urbain (article L. 236-1 du Code de la route) ;

L’annulation du permis obligatoire du permis, proposée par Szpiner et maintenue, oblige les condamnés à repasser l’examen, marquant symboliquement la rupture du contrat social que représente le permis de conduire.

La France dans le contexte européen : une approche médiane

L’adoption de l’homicide routier place la France dans une position intermédiaire au sein de l’Europe. Une analyse comparative révèle des approches très diverses :

Le Royaume-Uni se montre le plus sévère avec une peine maximale de perpétuité depuis 2022 (contre 14 ans auparavant) pour causing death by dangerous driving (sentencingcouncil.org.uk, hansard.parliament.uk). L’Italie, qui a créé l’omicidio stradale en 2016, prévoit des peines de 8 à 12 ans (jusqu’à 18 ans si plusieurs victimes), avec un délit de fuite entraînant une peine plancher de 5 ans (loc.gov, europeanreview.org).

À l’inverse, l’Allemagne reste sur une approche bien moins spécifique avec un maximum de 5 ans pour tout homicide par imprudence, sans qualification spécifique routière (jura.uni-wuerzburg.de). La Belgique, actuellement limitée à 3 mois-5 ans pour homicide involontaire, débat d’une réforme pour créer un homicide routier passible de 5 à 10 ans (justifit.be, avocat-vandekerkove.be). L’Espagne prévoit 1 à 4 ans avec retrait de permis obligatoire (boe.es, emesa-m30.es).

La France, avec ses 7 à 10 ans maximum, adopte une position médiane, plus symbolique que répressive comparée à ses voisins britanniques ou italiens.

Un relatif soulagement pour les familles de victimes

Malgré ces réserves, ce changement de vocabulaire juridique représente une vraie victoire morale pour les familles de victimes d’accidents. Jusqu’à présent, voir le décès de leur proche classé comme un « homicide involontaire » était vécu comme une double peine.

Désormais, la loi consacre officiellement l’idée qu’un comportement routier gravement dangereux engage pleinement la responsabilité pénale du conducteur.

Plusieurs familles endeuillées s’étaient mobilisées pour obtenir cette évolution. On peut citer l’association Antoine Alléno, du nom du jeune homme tué par un conducteur multirécidiviste en 2022. Son père Yannick Alléno s’est investi pour que les chauffards soient traités plus sévèrement. De même, la Ligue contre la violence routière soutenait ce « changement sémantique souhaité par les victimes », qui s’accompagne de circonstances aggravantes mieux prises en compte qu’auparavant.

Pour ces familles, entendre enfin parler d’« homicide routier » constitue un soulagement : la mort de leur proche ne sera plus minimisée par le terme “involontaire”. Maintenant la loi doit être promulguée par la Président de la République et paraître au Journal Officiel.

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